- EUROPE OCCIDENTALE - La politique agricole commune
- EUROPE OCCIDENTALE - La politique agricole communeBien que leur importance relative dans le budget européen ait progressivement régressé au cours des dernières décennies, les dépenses liées à la politique agricole commune (P.A.C.) continuent à mobiliser – si l’on additionne les dépenses de la section «Garantie» et de la section «Orientation» du F.E.O.G.A. (Fonds européen d’orientation et de garantie agricole) – plus de la moitié de celui-ci. La P.A.C., qui a été un des principaux fondements de la construction européenne, demeure un des éléments majeurs de cohésion de l’Union européenne.Mise en place au cours des années 1960, la P.A.C. a joué un rôle décisif dans la montée en puissance de l’agriculture européenne. Alors que depuis le XIXe siècle l’Europe de l’Ouest constituait le premier pôle d’importation de produits agricoles de la planète, l’Union européenne s’affirme désormais, avec les États-Unis, comme l’un des deux pôles majeurs d’exportation de produits agricoles et agro-alimentaires du monde. L’agriculture française a très largement profité de la P.A.C., aussi bien dans son ancienne version que dans celle qui est mise en œuvre depuis 1992.Dans certains domaines, la première version de la P.A.C., principalement fondée sur une politique des prix, a même trop bien réussi: alors que parmi les objectifs visés figurait l’autosuffisance de la Communauté européenne en produits agricoles, elle fut à différents moments à l’origine d’excédents très coûteux à stocker et à écouler sur les marchés mondiaux.Depuis l’importante réforme de 1992, qui, en généralisant les aides directes, a transféré des consommateurs aux contribuables la charge de soutenir les revenus des agriculteurs, la P.A.C. se trouve à la croisée des chemins. Pendant que certains poussent à un recentrage sur l’Europe – Europe élargie toutefois à une partie au moins de l’Europe centrale et orientale –, d’autres continuent à plaider en faveur d’une participation accrue à la mondialisation des marchés agricoles. Au-delà de ce choix portant sur l’ampleur de la production agricole à encourager, d’autres choix devront être effectués concernant la qualité et la sécurité alimentaire des produits, l’emploi, la protection de l’environnement ainsi que l’entretien des espaces ruraux. Mais il n’y a pas fatalement opposition entre la mise en place d’une agriculture «durable» et le développement d’une production agricole destinée pour une part aux marchés internationaux.1. Le système initial de la P.A.C.Objectifs et principesIls figurent dans l’article 39 du traité de Rome signé en mars 1957. On demandait alors à la P.A.C.:– «d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique»;– «d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole»;– «de stabiliser les marchés»;– «de garantir la sécurité des approvisionnements».Afin d’atteindre ces objectifs, l’article 40 prévoyait «une organisation commune des marchés agricoles». Celle-ci a été fondée sur quatre principes:Unicité de marché . La libre circulation des produits agricoles entre les États membres a été instaurée dès les années 1960: la suppression des droits de douane a été à l’origine d’un essor spectaculaire des échanges de produits agricoles à l’intérieur de l’Union européenne.Préférence communautaire . L’unicité de marché supposait l’établissement de règles communes à l’égard des importations en provenance de pays tiers. Les droits d’entrée ou «prélèvements» qui leur sont appliqués sont partout identiques et fixés à des niveaux tels que, pour des produits comparables, on ait toujours avantage à faire appel au marché intérieur européen plutôt qu’à des pays tiers. Ces «prélèvements», à ne pas confondre avec des droits de douane, pouvaient fluctuer de façon très importante en fonction des écarts très variables dans le temps existant entre les prix intérieurs européens et les cours mondiaux ainsi qu’entre les valeurs respectives de l’écu et du dollar américain. Il y avait là une double protection du marché intérieur européen.Garantie de prix minima uniques sur le marché intérieur européen pour la plupart des produits agricoles. Ces prix planchers sont garantis grâce à deux mécanismes. Celui de l’«intervention» permet de retirer momentanément du marché et de stocker des quantités produites en excédent. Celui des «restitutions» ou aides qui sont accordées aux exportations vers les pays tiers, lesquelles sont égales à la différence entre le prix de marché européen et le cours mondial.Solidarité financière des différents États membres . Les dépenses engendrées par la P.A.C. sont financées par un organisme commun: le F.E.O.G.A.Cette organisation commune des marchés existe encore pour l’essentiel, malgré la réforme de la P.A.C. adoptée en 1992, avec toutefois une modification importante concernant les prélèvements.Les organisations de marchésElles furent mises en place pour la plupart entre 1965 et 1970, mais toutes les productions n’ont pas bénéficié de types d’encadrement comparables.Pour environ 70 p. 100 de la production agricole européenne, il existe un prix d’intervention ainsi qu’une protection vis-à-vis du marché mondial, obtenue grâce au double mécanisme des prélèvements et des restitutions. Les principaux produits qui bénéficient ainsi d’une protection maximale sont les céréales, le sucre, le lait, les viandes bovines et ovines. Il s’agit de productions principalement obtenues dans les pays et régions du centre et du nord de l’Europe. Pour la viande bovine, le vin de table et différents fruits et légumes, le recours à l’intervention est assez rare: on utilise plutôt des aides au retrait ou à la distillation pour soutenir les marchés.Pour un quart environ de la production agricole européenne (œufs et volailles, certains fruits et légumes, fleurs...), il n’y a pas d’intervention, mais uniquement une protection vis-à-vis de l’extérieur. Il s’agit de productions provenant pour une bonne part, mais pas uniquement, des pays et régions du sud de l’Europe. Encore aujourd’hui, ces productions figurent parmi les moins encadrées par la P.A.C.Enfin, pour les oléagineux (colza, tournesol, soja), il n’y a ni intervention ni protection aux frontières: sur le marché intérieur européen le prix est celui du cours mondial. Cette situation particulière résulte d’une concession faite aux États-Unis, dans le cadre du G.A.T.T., dans les années 1960: il a fallu en passer par là pour qu’ils acceptent alors la mise en place de la P.A.C. Dans ce contexte, les producteurs européens de graines oléagineuses bénéficient de deficiency payments , ou paiements compensateurs. Cette formule a été étendue à d’autres productions lors de la réforme de 1992.Malgré ces différences de régime applicable suivant les produits, l’ancienne P.A.C. était principalement une politique de soutien par les prix: le soutien apporté aux agriculteurs se trouvait principalement assuré par les consommateurs européens, ceux-ci payant leurs produits agricoles nettement plus cher que sur le marché mondial. Ce système de financement avait pour avantage d’être peu visible, en particulier pour des pays tels que la France où, dans les budgets des ménages, la valeur des achats de produits agricoles bruts ne représente plus que 5 à 6 p. 100 de l’ensemble des dépenses.Les prix à la fois réguliers et rémunérateurs dont ont bénéficié les agriculteurs ont soutenu un accroissement très important de la production. Au cours des années 1970, la production agricole a dépassé la consommation européenne dans la plupart des domaines. Cette première version de la P.A.C., élaborée en fonction d’une Europe déficitaire en produits agricoles, devenait de plus en plus difficile à faire fonctionner dans le contexte d’une Europe devenue excédentaire, d’autant qu’après la forte expansion des marchés agricoles mondiaux des années 1970 ceux-ci étaient entrés dans une quasi-stagnation au début des années 1980. Par ailleurs, les critiques que l’on peut adresser à toutes les politiques des prix – politiques dans lesquelles les aides sont d’autant plus élevées que les volumes produits sont importants – sont bien connues: elles encouragent le productivisme au-delà de la demande effective des marchés, et elles soutiennent de façon privilégiée les exploitations et les régions qui sont déjà les plus favorisées. La plus grande partie des aides va aux principales régions de production, souvent organisées en bassins de production spécialisés, et vers les plus grandes exploitations. Contrastes sociaux et contrastes territoriaux sont ainsi devenus de plus en plus accusés dans les campagnes européennes.2. La nouvelle P.A.C. instaurée en 1992Principes directeursVenant après l’instauration dans les années 1980 de différents mécanismes partiels de stabilisation de la production (quotas laitiers en 1984, quantités maximales garanties concernant les graines oléagineuses à partir de 1986-1987, puis les céréales à partir de 1988-1989), la nouvelle P.A.C. de 1992 est fondée sur de nouveaux mécanismes de soutien des revenus des agriculteurs et de contrôle de l’offre. Elle répond à de nouveaux objectifs: aller vers un meilleur équilibre des marchés, sauvegarder l’environnement, maintenir les revenus agricoles tout en favorisant une redistribution des soutiens, maintenir en place un nombre élevé d’agriculteurs tout en améliorant la compétitivité de l’agriculture.Ces évolutions sont liées à des pressions s’exerçant à l’intérieur de l’Union européenne (nécessité d’une meilleure maîtrise de la production et d’une distribution géographique et sociale moins inégale des soutiens, atteintes portées à l’environnement par différentes formes d’agriculture «productiviste»...), mais aussi à des pressions externes. Celles-ci proviennent, dans le cadre des négociations commerciales de l’Uruguay Round, des pays du groupe de Cairns (Australie) ou groupe des fair traders (exportateurs «loyaux» de produits agricoles) qui, à la suite de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Canada, de l’Argentine... réclament une forte diminution des soutiens apportés à l’agriculture et aux exportations de produits agricoles. Elles proviennent surtout des États-Unis, qui souhaitent limiter le plus possible les exportations européennes de produits agricoles, l’Union européenne étant devenue leur concurrent le plus redoutable sur les marchés mondiaux.Dans ce nouveau contexte, la P.A.C. est passée de soutiens principalement fondés sur des prix élevés et financés par les consommateurs à des soutiens principalement fondés sur des paiements compensateurs versés aux agriculteurs et financés par les contribuables. Les aides apportées à l’agriculture européenne et aux agriculteurs européens sont ainsi devenues beaucoup plus visibles, ce qui ne manquera pas de poser à terme le problème de leur justification. En prenant des formes nouvelles, les aides européennes à l’agriculture se sont beaucoup rapprochées des mécanismes de soutien qui ont été utilisés aux États-Unis dans le cadre des grandes lois-cadres agricoles qui jalonnent la politique fédérale depuis l’époque du New Deal. Cette transformation a joué un rôle décisif dans la conclusion, à la fin de 1993, des négociations commerciales conduites dans le cadre de l’Uruguay Round. En s’inspirant largement du modèle américain, la P.A.C. s’est mise à l’abri, au moins pour un temps, des critiques des États-Unis.La progression des aides directesPour les oléagineux, les changements ont été plus limités que pour d’autres productions: le prix sur le marché intérieur européen correspondait déjà au cours mondial. Les paiements compensateurs jusque-là versés aux industriels assurant la trituration des graines oléagineuses le sont désormais directement aux agriculteurs eux-mêmes. Surtout, à la demande des États-Unis, les Européens ont dû accepter de limiter leur superficie cultivée en oléoprotéagineux à un peu plus de 5 millions d’hectares et de demeurer ainsi déficitaires dans ce domaine. Il s’agissait pourtant là d’un enjeu d’importance compte tenu de la place que tiennent les farines et tourteaux d’oléagineux dans la bonne conduite des élevages industriels.Pour ce qui est des céréales, le prix d’intervention européen a été abaissé de plus d’un tiers. Cette forte baisse a été étalée sur trois campagnes (1993-1994, 1994-1995 et 1995-1996). Le prix d’intervention pour les céréales européennes se situe désormais à un niveau relativement proche des cours mondiaux en période de relatif équilibre des marchés. En 1996, à la faveur d’une crise conjoncturelle, le cours mondial du blé est même devenu pendant plusieurs mois supérieur au prix de marché européen, et il a fallu taxer les exportations européennes de blé afin d’éviter que trop de blé européen ne parte sur le marché mondial.Cette baisse du prix d’intervention a été compensée par le versement d’aides aux agriculteurs, aides d’un montant de 45 écus par tonne depuis 1995-1996. Cette somme est multipliée par un rendement moyen régional afin de déterminer le montant de l’aide par hectare. En France, afin que s’exprime une solidarité par régions, les rendements calculés prennent en compte pour un tiers le rendement moyen national et pour deux tiers le rendement moyen départemental; on arrive ainsi en moyenne à une aide proche de 2 500 francs par hectare. Il y a ainsi découplage de l’aide par rapport à la production effectivement réalisée, puisque l’on se fonde sur des rendements calculés qui avantagent les régions les moins bien placées et les exploitants les moins performants et qui pénalisent de façon relative les régions les mieux placées et les exploitants les plus performants. Il demeure cependant une relation étroite avec les facteurs de production, et en particulier avec le foncier: le montant total des aides apparaît d’autant plus élevé que l’exploitation est plus étendue. Pour accéder à ces aides, une participation des agriculteurs au contrôle de l’offre est exigée: ils ont été contraints de geler 15 p. 100 de leurs terres arables en 1992-1993 et 1993-1994, et encore 5 p. 100 en 1996-1997. Les plus petits producteurs, produisant moins de 920 quintaux de céréales, ce qui représente une vingtaine d’hectares cultivés en céréales si l’on se fonde sur le rendement moyen européen, sont exemptés de gel.Enfin, sous la pression américaine, les Européens ont dû s’engager à limiter, dans le cadre des négociations de l’Uruguay Round et à la suite du préaccord dit de Blair House (nov. 1992), leurs exportations de céréales bénéficiant de restitutions, donc d’aides, à 23,5 millions de tonnes à partir de 1999.Pour les produits comme le lait, la viande ou la betterave à sucre, les écarts entre cours mondiaux et prix européens demeurent nettement plus marqués: en gros, le rapport est du simple au double. On est resté pour ces produits dans une organisation plus proche de celle de l’ancienne P.A.C.Toutefois, le prix d’intervention pour la viande bovine a été abaissé de 15 p. 100 entre 1992-1993 et 1995-1996. Cette baisse a été compensée par une augmentation de la prime annuelle au bovin mâle et à la vache allaitante. En outre, ces primes, qui ne sont versées que dans la limite de deux unités de gros bétail par hectare (U.G.B./ha, l’U.G.B. correspondant à un bovin adulte), se trouvent majorées en cas de production plus extensive (charge inférieure à 1,4 U.G.B./ha) permettant de mieux sauvegarder l’environnement. Cette mesure est plus particulièrement favorable aux élevages à viande français, qui relèvent dans leur majorité de systèmes extensifs.Afin de mieux contrôler les niveaux de l’offre ont été mis en place des quotas nationaux et un plafond de quatre-vingt-dix animaux pour l’attribution de la prime bovins mâles et des quotas individuels pour les primes vache allaitante. La France possède à elle seule plus du tiers du cheptel européen de référence pour les vaches allaitantes. Pour les bovins mâles, la situation est très différente: l’Allemagne possède 30 p. 100 du cheptel européen de référence, et la France moins de 20 p. 100. Pour le lait, une baisse de 2 p. 100 des quotas est intervenue entre 1993-1994 et 1994-1995, parallèlement à une baisse de 5 p. 100 du prix du beurre.Enfin, vis-à-vis de l’extérieur, a été mise en place une tarification des prélèvements opérés sur les importations européennes de produits agricoles. Les prélèvements, dont les montants variaient jusqu’ici en fonction des écarts fluctuants existant entre prix intérieurs européens et cours mondiaux ainsi qu’en relation avec les valeurs respectives, également très mobiles, de l’écu et du dollar américain, ont été transformés en «équivalents tarifaires», c’est-à-dire en droits de douane fixes. Ces équivalents tarifaires sont appelés à être progressivement réduits de 36 p. 100 sur une période de six ans à compter de 1994. Ils se situent encore actuellement à des niveaux tels que le marché intérieur européen demeure protégé vis-à-vis du marché mondial et de ses fluctuations chaotiques, mais il pourrait ne plus en être de même au-delà de 2002.3. Résultats et perspectivesSur un certain nombre de points, la nouvelle P.A.C. a atteint les objectifs qui lui étaient assignés. Sur d’autres, son premier bilan est plus nuancé.Grâce au gel des terres, aux limitations collectives (quotas nationaux de surfaces primables et plafonds nationaux pour les primes vaches allaitantes et bovins mâles) et individuelles, ainsi qu’à une certaine extensification de la production, la maîtrise de l’offre de céréales et de viande bovine a été mieux assurée. Il en est résulté un effondrement des stocks d’intervention qui a permis un maintien des prix européens au-dessus des prix d’intervention. Pour la viande bovine, la crise de la «vache folle» est toutefois venue remettre en cause cette situation.Pour les céréales, si l’importante baisse du prix d’intervention qui a été décidée n’a pas directement profité aux consommateurs, elle a permis une nette reconquête du marché intérieur de l’alimentation animale au détriment des produits de substitution de céréales (P.S.C.) tels le manioc ou le gluten de maïs, importés. Toutefois, la baisse des prix des viandes blanches (porc et volailles) permise par la baisse des prix des céréales a rendu plus vive la concurrence qu’elles exercent sur la consommation de viande bovine. Le recul de celle-ci s’est en outre trouvé accentué par la crise de la «vache folle».Globalement, si l’on met à part la situation des producteurs de viande bovine, les revenus des agriculteurs se sont plutôt améliorés. Ils dépendent toutefois de plus en plus des aides qui leur sont attribuées dans le cadre de la nouvelle P.A.C. Ainsi, pour les producteurs spécialisés en viande bovine et en grandes cultures, la part des aides dans leur revenu a été supérieure à 60 p. 100 en 1996. L’équilibre économique de très nombreuses exploitations agricoles apparaît désormais étroitement lié aux montants des aides directes. La masse des exploitations agricoles rejoint désormais la situation des exploitations de zones défavorisées et de montagne, qui étaient jusque-là les seules à dépendre fortement de soutiens directs. Leur pérennité est désormais plus que par le passé suspendue aux décisions prises à Bruxelles par le Conseil des ministres de l’Agriculture concernant les modalités d’attribution et les niveaux des primes et aides compensatrices.Quant au maintien d’un nombre important d’emplois dans le domaine agricole, il apparaît difficile à tenir dans l’immédiat. La diminution du nombre des agriculteurs n’a jamais été aussi marquée que dans le milieu des années 1990. La part de la population active agricole dans la population active totale n’est plus que de 4 p. 100 en France et aux Pays-Bas, de 3 p. 100 en Allemagne et de 2 p. 100 au Royaume-Uni. Cela est lié à la structure de la pyramide des âges des chefs d’exploitations agricoles et à la mise en place par la nouvelle P.A.C. d’un système de préretraites. On observe également que l’une des stratégies les plus fréquemment adoptées par les agriculteurs face aux mutations en cours a été celle de l’agrandissement. C’est donc plutôt du côté de la diversification des activités, et en particulier de la vente de services, que l’on peut attendre un ralentissement du recul de la population agricole et un meilleur équilibre entre les territoires.Toutes ces mutations, très importantes, ont abouti à une situation bien différente de celle qui prévalait avant 1992. Mais il est peu probable que l’on en reste là au-delà de l’an 2000, compte tenu d’un certain nombre d’événements qui ne manqueront pas de peser sur le devenir de la P.A.C. et des agricultures européennes. Parmi eux figurent:– la nouvelle loi agricole américaine, le Fair Act de 1996, qui a découplé encore plus nettement que par le passé les aides par rapport à la production;– le nouveau cycle de négociations commerciales, qui va débuter en 1999 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.) et qui va pousser dans le sens d’une libéralisation accrue des échanges;– l’élargissement de l’Union européenne en direction de l’Europe de l’Est.Depuis sa réforme de 1992, la politique agricole commune de l’Union européenne se trouve en quelque sorte «au milieu du gué».Si les aides directes désormais accordées aux agriculteurs en compensation des baisses de prix d’intervention participent pour une part décisive aux revenus dégagés par les exploitations agricoles, les instruments de l’ancienne P.A.C. n’ont pas pour autant disparu. Alors que pour les oléagineux le prix intérieur européen se confond depuis longtemps avec le cours mondial et que le prix d’intervention retenu pour les céréales se situe depuis 1995-1996 à un niveau proche de celui des cours mondiaux, les écarts entre prix européens et cours mondiaux demeurent très marqués pour des productions telles que le lait, la viande bovine ou la betterave à sucre. Pour ces productions, le soutien par les prix, assorti de quotas, demeure fondamental.Dans ce contexte, les partisans d’options économiques (et sociales) différentes continuent à s’affronter. Aux partisans de la mondialisation et d’une participation accrue aux échanges internationaux de produits agricoles – échanges sans doute appelés à prendre davantage d’ampleur dans les années à venir – s’opposent les partisans de contingentements calculés en fonction du marché intérieur européen et d’un repli sur l’espace économique européen. Certains même se prononcent en faveur d’une renationalisation plus ou moins marquée des politiques agricoles à l’intérieur de l’Union européenne. Parmi les pays européens, la France est un des rares pays à défendre la «vocation exportatrice» de l’Union européenne. Il est vrai qu’elle est le premier pays agricole de l’Union et un de ceux qui ont tiré le plus de profit de l’ancienne P.A.C. comme de la P.A.C. réformée: elle bénéficie selon les années de 20 à 25 p. 100 des dépenses du F.E.O.G.A., et la nouvelle P.A.C. a eu tendance à renforcer ce pourcentage. En revanche, les pays qui ont rejoint récemment l’Union (Autriche, Finlande, Suède) se contenteraient volontiers d’une Union européenne juste autosuffisante en produits agricoles. La position «traditionnelle» de l’Allemagne était assez proche de celle-ci, mais la récupération de ses territoires orientaux, dotés de vastes structures d’exploitation, l’a fait évoluer quelque peu.L’éventail des évolutions à venir demeure en fait largement ouvert. La variété des productions agricoles européennes, la diversité des agricultures présentes au sein de l’Union – diversité liée aux conditions agronomiques, aux structures d’exploitation et aux grands modèles de production agricole – et l’attention accrue qu’il conviendra de porter aux problèmes d’environnement jouent en faveur de politiques différenciées et isolant le marché intérieur européen des marchés mondiaux. En revanche, les contraintes externes qui pèsent sur la P.A.C. jouent dans le sens d’un affaiblissement des protections aux frontières et des mécanismes de soutien par les prix. Elles poussent également en direction d’aides directes de plus en plus découplées par rapport à la production. Parmi elles mentionnons:– l’intégration de certains pays d’Europe centrale et orientale au sein de l’Union européenne vers 2004-2005;– les pressions américaines, qui ont toujours été très fortes sur la P.A.C. et qui se manifesteront à nouveau à l’occasion du nouveau cycle de négociations commerciales qui vont débuter en 1999 dans le cadre de l’O.M.C.Après l’importante réforme de 1992 à laquelle on procéda sous la pression de tensions internes, mais aussi de fortes tensions externes, la P.A.C. apparaît à nouveau à la croisée des chemins. La situation est complexe dans la mesure où, aux enjeux sociaux, environnementaux et territoriaux, s’ajoutent des enjeux économiques, et même géostratégiques: l’Europe peut-elle se contenter de produire pour elle-même alors qu’au sud et à l’est de la Méditerranée – sans même aller plus loin – les décalages entre consommation et production de denrées alimentaires apparaissent de plus en plus marqués?
Encyclopédie Universelle. 2012.